Olfaction : sentir, c’est comme jouer de la musique, cela s’apprend !

Olfaction : sentir, c’est comme jouer de la musique, cela s’apprend !


Source : http://theconversation.com/olfaction-sentir-cest-comme-jouer-de-la-musique-cela-sapprend-2-61654

 

 

L’odeur a rarement bonne presse chez les savants : un sens « faible » pour Aristote, « importun » pour Kant, « animal » pour Freud… Le désintérêt de notre civilisation pour l’olfaction se reflète dans la pauvreté de notre langage pour décrire les odeurs, pauvreté qui provient de notre absence d’éducation et de culture dans ce domaine.

 

En fait, la situation n’est pas complètement désespérée car, comme nous l’avons vu dans notre premier article, notre odorat fonctionne quand même, tout le temps. Il suffit d’y faire attention.

 

Bien sûr, il existe des cas où « l’on ne sent rien du tout ». Tout récemment, dans une grande enquête nationale auprès de milliers de Français, un collègue de Lyon a montré qu’environ 10 % des répondants étaient soit anosmiques (perte totale de l’odorat), soit souffraient d’une perte partielle de sensibilité, souvent liée à l’âge (cette diminution frappe 20 % des plus de 65 ans).

 

En fait, si nous sommes souvent incapables d’identifier exactement un odorant, nous procédons néanmoins par catégorie. Par exemple, si l’on fait sentir du romarin, les réponses vont être : « lavande », « thym », « herbes de Provence » ; faute de précision, la catégorie « herbes de Provence » incluera ces différentes senteurs. Cette propriété de généralisation du cerveau est bien pratique et efficace : quand on n’est pas spécialiste, on est quand même capable de reconnaître des odeurs alimentaires, des odeurs florales, des odeurs animales, etc.

 

Dix ans de pratique

 

Ce qui nous manque, c’est l’entraînement. Les jeunes parfumeurs mémorisent des centaines d’odorants : soit des corps chimiques purs, soit des produits de référence, soit des parfums historiques. Et non seulement ils apprennent par le nez, mais aussi en mettant des mots sur leurs perceptions. La profession s’accorde sur une classification des parfums largement basée sur leur composition : hespéridés, floraux, fougère, chypre, boisés, ambrés, cuir. On estime qu’il faut dix ans à un apprenti pour être capable d’utiliser cette « olfactothèque », d’une part pour identifier des odorants, d’autre part pour concevoir un parfum.

 

Apprenties-parfumeuses à l’ISIPCA. Les deux étudiantes sont en train de sentir des mouillettes imprégnées d’odorant. Elles apprendront ainsi des centaines d’odeurs de référence en deux ans de formation. Carole Sester, ISIPCA, Author provided

 

Comme les musiciens, les parfumeurs doivent entretenir et amplifier leur répertoire en pratiquant tous les jours. 

 

Quand on observe leur cerveau en imagerie cérébrale, on voit qu’ils dépensent moins d’énergie que les débutants et que leur cortex orbitofrontal est plus épais que le reste de la population. Des parfumeurs que j’ai interrogés, je retiens également que, outre le vocabulaire officiel, chacun d’eux possède sa façon de se représenter le monde olfactif : formules chimiques, images ondoyantes et colorées, paysage.

 

Cette pratique artistique peut paraître élitiste mais en fait, quelques instituts proposent des formations dans lesquelles « monsieur tout-le-monde » (plus souvent madame, d’ailleurs) peut apprendre en quelques heures ou quelques jours quelques rudiments qui lui permettront de se repérer dans l’univers olfactif et de progresser dans sa connaissance. Il en est de même en œnologie ou en cuisine.

 

Les grandes marques de parfumerie ont tendance à privilégier le marketing par rapport à l’éducation et c’est dommage. La France est (encore) le premier pays pour la parfumerie-cosmétique mais, paradoxalement, cela repose sur une formation restreinte aux professionnels et une recherche scientifique méritante mais peu nombreuse. Comment propager une culture olfactive ? Je m’en tiendrai à deux pistes, l’apprentissage dans le jeune âge et les pratiques artistiques.

 

Éducation olfactive


Les nouveaux rythmes scolaires ont dégagé quelques heures par semaine qui pourraient être employées à l’éducation olfactive. 

 

Quelques jeux olfactifs existent et les ateliers « fabriquez votre parfum » ont beaucoup de succès auprès des enfants. On peut leur faire déguster une purée de fruit ou un yaourt aromatisé avec les yeux bandés et le nez bouché, ce qui les empêche de reconnaître le mets ; mais, dès qu’on débouche le nez, les arômes reviennent par l’arrière-gorge et l’identification est souvent immédiate. Plus inattendu : on leur demande d’apporter une écharpe qu’ils portent souvent. On leur bande les yeux et on leur demande de reconnaître, avec l’odorat, leur propre écharpe au milieu de celles de leurs camarades ; la plupart du temps, le score est de 100 % ; certains même reconnaissent l’odeur d’un ou d’une camarade.

 

L’odorat : 
comme un bel-art


Les beaux-arts s’adressent à nos sens « à distance » et « raisonnables » que sont la vue et l’ouïe, et génèrent des œuvres tangibles, durables. L’odorat ne pèse pas lourd face à ce monstre institutionnel. Art des effluves fugaces, des impressions fugitives, des émotions réveillées, il a du mal à accéder au statut de bel-art, bien que la démarche artistique des parfumeurs-créateurs soit tout à fait semblable à celle des autres artistes : comme eux, ils font se rencontrer la matière et la pensée.

 

Tous les « nez » (certains contestent cette appellation ; ils n’ont peut-être pas un sens olfactif plus développé que vous ou moi, mais ils ont surtout un cerveau entraîné) que j’ai rencontrés savent à l’avance l’odeur qu’ils cherchent, sa composition de base, comme le musicien peut avoir en tête sa musique sans la jouer. Ensuite, ils s’en approchent progressivement par essais successifs et, quand LA composition attendue émerge, ils l’identifient avec certitude : eurêka !

 

Sans viser ce niveau, on pourrait imaginer une pratique de loisir comme on fait de la peinture, de la lecture ou du chant choral.


Avec l’étalement urbain et la densification, les populations se rapprochent de plus en plus des installations municipales, industrielles et agricoles.  Ce contexte apporte son lot de problématique dans presque tous les secteurs industriels. Les gens sont aussi plus sensibles quant aux ennuis engendrés par la pollution atmosphérique due entre autres, par les composés chimiques, les parti-cules fines et les odeurs. Ils sont méfiants quant aux impacts sur la santé. Entre la qualité de vie des citoyens et la pérennité économique, des solutions doivent être trouvées, maintenant.

 

Les solutions idéales doivent être durables et passent,  par une caractérisation chimique approfondie.  L’analyse chimique de l’air et surtout celle des odeurs sont,  encore aujourd’hui, d’immenses défis à relever pour le personnel oeuvrant dans les laboratoires.  Cependant, de nouveaux équipements ont fait leur apparition ces dernières années, offrant plus de versatilité et de meilleurs seuils de détection.  

 

Pour une bonne analyse, 
un bon échantillonnage


Toute bonne analyse passe par un bon échantillonnage, adapté aux particularités de chaque condition. Des équipements d’échantillonnage plus performants, de nouveaux matériaux pour les sacs de prélèvement, des canisters  et leurs trains d’échantillonnage à débit contrôlé fixe ou variable, des tubes de collecte avec différents adsorbants comme les charbons, les silices et ceux plus spécifiques à base de polymères, apportent une polyvalence accrue.  

 

De plus, avec l’arrivée des drones, le futur est déjà à nos portes, car ces derniers peuvent maintenant transporter ce matériel faisant place ainsi à de nouvelles possibilités. Il y a aussi les analyses aériennes géolocalisées (ex. un plan industriel) par le biais de satellites qui deviendront un jour monnaie courante.

 

Après un échantillonnage représentatif, les analyses doivent être effectuées rapidement afin d’éviter une altération de l’échantillon.  Des analyses comme les composés majeurs de l’air (O2, CO2, …), les composés organiques volatils (COV) à l’état de trace, les gaz à effets de serre (CH4, H2S, …), les particules fines et certaines analyses spécialisées sont des analyses plus courantes. Par contre, lorsque les composés ne sont pas connus, des instruments plus pointus sont nécessaires.  La chromatographie avec spectromètre de masse et banques de données est alors nécessaire pour l'identification des composés.  

 

Différentes méthodologies et types d’olfactomètres permettent maintenant de quantifier les odeurs. Mais puisque les odeurs ne sont pas qu’une question de quantité, la qualification des odeurs est aussi importante et doit souvent être prise en ligne de compte.  

 

Dans ces cas, l’utilisation de jurés experts permet de qualifier les odeurs en décrivant l’intensité perçue, l’identification du caractère olfactif (description de l’odeur) et le ton hédonique, soit l’appréciation des odeurs. 

 

Un bon exemple de la combinaison d’une technique d’analyse, d’identification, mais aussi de qualification des odeurs est l’utilisation de l’appareil de chromatographie gazeuse avec spectromètre de masse et muni d’un port olfactif (GC/MS/O).  Cet appareil combine l’identification avec l’aide d’un spectromètre de masse, une librairie et la qualification par jurés experts. Cette technique avantageuse permet, par exemple, d’identifier rapidement les molécules responsables d’une mauvaise odeur perçue par le public.  De plus comme le GC/MS/O permet d’analyser les odeurs provenant de gaz, de liquides et de solides, une recherche de la source de la pro-blématique d’odeur peut aussi être effectuée à la manière d’un détective. Grâce à cette identification (composé et source), de simples modifications peuvent être effectuées au procédé ou alors divers traitements d’abattement ciblés visant les composés nuisibles peuvent être proposés. 

 


 
En terminant, les différentes techniques d’échantillonnage, d’analyse, d’identification et de qualification des molécules volatiles ou odorantes connaîtront sûrement plusieurs améliorations au fil des années,  dans le but d’être le plus polyvalent possible et d’être applicables à tous les secteurs d’activités économiques et humains afin d’améliorer la qualité de l’air que nous respirons. 

 

 

Renseignements complémentaires : www.criq.qc.ca
 

Rédigé par OdoMag