Le point de congélation EST-IL VRAIMENT À 0°?

Le point de congélation EST-IL VRAIMENT À 0°?

 

Richard Leduc, Ph.D. (AirMet Science Inc.)  

a 46 ans d'expérience en météorologie et qualité de l'air dans le domaine de la modélisation de la dispersion; il a développé un modèle lagrangien stochastique pour application en milieu densément urbanisé. Il a mis en place plusieurs programmes d'échantillonnage, publié des livres, articles, rapports etc. et donné de nombreuses formations. Il est Professeur associé bénévole à l'Université Laval. Amateur d'art et d'histoire c'est un collectionneur d'icônes et autres objets. Son odeur préférée est l’odeur du sapin baumier.

Un départ vers les nuages

 

Dans le dernier numéro de Odomag, nous nous sommes intéressés à un phénomène hivernal accablant, le verglas. Mais voilà que nous sommes rendus loin en été, que nous avons presque oublié cette dernière tempête d'avril et que la météo nous a aussi imposé des tracas avec l'humidité et l'humidex (nous reviendrons sur ce sujet - j'ai bien connu Joan Masterton qui l'a développé) qui atteint des valeurs propres à nous rendre inconfortable. Mais le dernier article se terminait avec une question: est-il vrai que l'eau gèle à 0°C ? Tentons une réponse rafraîchissante en cette période de canicule.

 

Question simple, réponse simple, mais explication plus difficile. Voilà: et bien non. L'eau ne gèle pas nécessairement à 0°C bien que la glace fonde à cette température. Ceci tient à une propriété particulière à l'eau. Si on suppose que l'on a affaire à une gouttelette d'eau et qu'on l'expose à des températures sous le point de congélation, on constate que plus la gouttelette est petite, plus basse doit être la température afin qu'elle congèle. Une gouttelette qui demeure ainsi liquide sous le point de congélation se nomme de "l'eau surgelée". Dans les nuages, on retrouve ces gouttelettes surgelées en abondance; elles peuvent demeurer surgelées jusqu'à -40°C.

 

Voyons comment se forme les gouttelettes dans les nuages.

Le premier ingrédient est évidemment la présence d'humidité. Nous verrons dans de prochains numéros de Odomag que l'atmosphère peut être en mouvement vertical (vers le haut ou le bas); on a déjà vu ce phénomène dans les cellules convectives lorsque l'on a discuté de la turbulence. Ce mouvement vers le haut provoque une baisse de la température de l'air ascendant, ce qui augmente l'humidité relative jusqu'à un point où celle-ci atteint 100% (ou presque). L'air est saturé d'humidité. Voici le premier ingrédient.

 

Mais ce n'est pas suffisant pour former une gouttelette. Il lui faut un support sur lequel l'eau peut se condenser et que l'on appelle des noyaux de condensation. Sans la présence de ces noyaux, il faudrait plus de 600% d'humidité relative avant de former une première gouttelette. Il y a amplement de noyaux de condensation disponibles dans l'atmosphère: ce sont des particules de poussières, de fumée, des sels marins dont la taille est très petite, autour de 0.0002 mm. Une gouttelette d'eau dans le nuage peut avoir un diamètre d'environ 0.02 mm et une goutte de pluie, 2 mm; les noyaux de condensation sont très petits par rapport à une goutte de pluie. Certains de ces noyaux facilitent la condensation, d'autres moins et ainsi apparaît une gouttelette qui croît graduellement en présence d'air saturé d'humidité sur laquelle elle se condense. Lorsque la gouttelette devient plus lourde, elle peut aussi chuter vers le sol. Par exemple, la vitesse de chute d'une gouttelette typique (de 0.02 mm) est de 0.04 km/h (désolé, radar-photo !!!). Mais quand même, si elle entre en contact avec d'autres gouttelettes, elle peut en s'agglutinant, continuer de grossir et, devenu goutte de pluie, elle tombe à une vitesse d'environ 30 km/h. Sous l'effet de la friction avec l'air , elle peut aussi se fragmenter en gouttelettes de plus petite taille et ainsi en favoriser la création d'autres gouttes en cascade. Ce processus de croissance (appelé coalescence) agit dans un nuage chaud (ou dans sa partie chaude) i.e. qui n'est pas à une température sous le point de congélation.

 

Mais comment se forme un cristal de neige si les gouttelettes demeurent surgelées ?

Un autre processus agit: celui de Bergeron, en honneur à son découvreur. Comme dans le cas des gouttelettes qui nécessitent la coopération des noyaux de condensation, les cristaux de glace ont aussi besoin d'aide: c'est le rôle des noyaux glacogènes (surtout des noyaux d'argile) qui sont aussi très petits et dont la forme ressemble à un crital de glace (c'est le cas de l'iodure d'argent qui a servi dans les expériences d'ensemencemant des nuages). Mais voilà que la quantité de noyaux glacogènes disponibles dans l'atmosphère est beaucoup plus petite que celle de leur confrère: il n'y en a 1000 par mètre cube d'air alors qu'il peut y avoir un million de noyaux de condensation par centimètre cube d'air. Par contre, en présence d'air saturé, la croissance des cristaux de glace (formés sur un noyaux glacogène) est favorisée au détriment des gouttelettes et même les gouttelettes surgelées finissent par s'évaporer pour se déposer sur le cristal (nous passons outre l'explication de ce phénomène). Lorsque ces cristaux croissent, ils peuvent aussi chuter, rencontrer sur leur parcours une gouttelette surgelée qui se congèle à son contact; le cristal peut aussi se fracturer et ses ramifications deviennent à leur tour des noyaux glacogènes. Les cristaux peuvent s'agglutiner et éventuellement former un flocon de neige. Ce flocon qui tombe devient une goutte de pluie en s'approchant du sol lorsque la température le permet. Nos gouttes de pluie ont donc pour origine des flocons de neige, même en été.

 

Dans les nuages, on retrouve ces deux comparses, sauf dans les nuages les plus élevés: les magnifiques cirrus. D'ailleurs, le phénomène de glaçage des aéronefs constitue un danger lorsqu'ils volent aux altitudes moyennes (sous environ -20°C), là où se retrouve l'eau surgelée.

 

Les cristaux de glace prennent différentes allures selon la température à laquelle ils se sont formés. La forme la plus connue est le cristal traditionnel de "dendrite", il y a aussi la colonne, l'aiguille, la plaque, etc. En hiver, lorsqu'il fait très froid et qu'il ne vente pas on peut observer des dendrites en suspension dans l'air qui brillent comme des diamants et on peut aussi les observer individuellement lorsqu'ils se déposent sur la voiture par exemple. Robert Kooke, grand savant anglais, en avait illustré plusieurs dans son ouvrage "Micrographia" en 1665 suite aux premières observations grâce au microscope. Les premières photographies de cristaux ont été faites par un agriculteur du Vermont, Wilson Bently qui, entre 1885 et 1931, en aurait effectué 5000 différentes en noir et blanc (une version abrégé de son livre est disponible). Si vous avez l'occasion, vous pourrez en admirer plusieurs dans le magnifique volume "The Snowflake" de Libbrecht et Rasmussen en plus d'y trouver une table de classification de tous les cristaux !!!!

 

Cette simple question nous a amené jusque dans les nuages. Nous verrons dans le prochain numéro comment on nomme les nuages, ces magnifiques résidents de notre atmosphère. Savoir les nommer, c'est déjà mieux les connaître.

 

Et autre question: les nuages ont-ils une odeur ?

 

Référence: Libbrecht, K., P. Rasmussen, 2003: The Snowflake. Winter's Secret Beauty. Whitecap Books, Vancouver, 112 p.

 

Rédigé par Richard Leduc